La nouvelle a été commentée et relayée par de nombreuses personnes, mais je vais tout de même revenir un peu sur les faits. En 2010, un article universitaire intitulé “Growth in a Time of Debt” de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff est paru dans l’American Economic Review, l’une des revues les plus prestigieuses en économie.
L’article mets en avant le fait que lorsque l’on se rapproche d’un certain seuil d’endettement, mesuré à l’aide du ratio dette sur PIB, cela entraine une stagnation de la croissance du pays. Reinhart et Rogoff ont déterminé que ce seuil est de 90 %.
L’affaire est souvent présentée comme le “le bug d’Excel” car la légende raconte que nos amis chercheurs n’ont pas suffisamment “étiré une formule”, si vous êtes un habitué d’Excel cela vous parlera, sinon dite vous que c’est une simple erreur d’inattention. Mais celle-ci s’avère assez grave puisque, sans entrer dans les détails économétriques, des données significatives ont été ignorées.
Ainsi en incluant ces données ignorées le résultat du seuil des 90 % est invalidé. Même si globalement, on peut être en phase avec l’argument selon lequel un fort taux d’endettement impact à terme la croissance d’un pays, on ne peut pas affirmer qu’un certain seuil aurait un impact particulièrement fort sur la croissance.
Pourquoi cette “simple” erreur fait-elle débat ? Tout simplement, car ces travaux ont beaucoup été utilisés pour justifier les politiques d’austérité imposées à certains pays. Effectivement, les défenseurs de l’austérité ont systématiquement cité ce document pour appuyer leurs arguments.
LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE CETTE ERREUR
Tout d’abord, il faut être mesuré face à des résultats portant sur des données passées, car des chocs externes ou d’autres éléments (exemple: fin de la Seconde Guerre mondiale) peuvent facilement et rapidement influencer les résultats (exemple: l’immobilier n’a pas cessé d’augmenter pendant 60 ans aux USA, si on se place en 2005 et analyse les données, on ne pense pas que les prix vont chuter brutalement par la suite.).
De plus, si un seuil existe, il est difficile de croire que celui-ci soit le même pour tous les pays, tant ces pays sont hétérogènes (ils ont leurs propres devises ou pas, des systèmes financiers différents, des politiques différentes, etc.).
Je vais ajouter un commentaire général sur le fait que les articles académiques pour être publiés et pris au sérieux doivent obligatoirement avoir une partie économétrique et/ou mathématique. Cela pousse parfois certains auteurs à faire en sorte que les modèles collent à leurs idées et non l’inverse.
La recherche économique a pour but d’apporter des informations et des arguments aux débats. Mais, jusqu’à présent cet article n’avait ni été discuté, ni été débattu. Pour moi, c’est donc bien un processus normal de la recherche économique. Les décisionnaires n’auraient pas dû utiliser cet article pour justifier l’austérité, sans que le débat académique ait eu lieu et que d’autres articles de recherches soient publiés sur le sujet.
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