L’importance d’étudier les cas extrêmes en économie

La Grande Modération du début des années 80 est caractérisée par une faible volatilité du PIB et de ses principaux composants tels que l’investissement et la consommation. Si les causes de cette faible volatilité font encore débat, cela a participé à l’émergence d’une certaine vision du monde, celle des cycles économiques. L’idée étant de dire que l’économie est constamment soumise à des chocs qui peuvent être positifs ou négatifs, elle est donc continuellement en fluctuation, mais retourne naturellement vers son équilibre de long terme.

LA THÉORIE DOMINANTE DES CYCLES ÉCONOMIQUES

Les modèles macroéconomiques dominants se sont donc appuyés sur cet état du monde et c’est ainsi qu’au début des années 70, on assiste à l’introduction des anticipations rationnelles qui basent les comportements économiques sur toute l’information disponible à la date t. Pour résumer, l’agent va prendre en compte les données économiques actuelles et passées. Ainsi, il va se forger une idée de l’état du monde à la date t+1. Mais, pour que cela soit acceptable, il faut partir de l’hypothèse que le monde d’hier n’est pas trop différent du monde d’aujourd’hui et de celui de demain, c’est en cela qu’il est important qu’il y ait une faible volatilité des principales variables économiques telles que le PIB ou l’inflation.

La linéarité des modèles est un autre aspect important. Dans ce genre de modèle, les chocs ont des effets plus ou moins proportionnels sur l’activité. Au départ, cela est surtout dû à la difficulté (voir même à l’impossibilité) de résoudre des modèles non linéaires avec l’hypothèse d’anticipation rationnelle, mais même lorsque l’on a été capable de résoudre ce type de modèle non linéaire, la vision dominante est restée celle des cycles économiques.

LES COINS SOMBRES DE L’ÉCONOMIE, LÀ OÙ LES MÉCANISMES HABITUELS NE FONCTIONNENT PLUS.

La récente crise a clairement montré que la théorie des cycles économiques était loin d’être satisfaisante. Il s’avère que les économistes ont aussi étudié les cas où les petits chocs ont de très grands effets, mais cela leur permettait d’expliquer des événements passés ou des cas bien particuliers pour lesquels nos économies avancées étaient soi-disant « vaccinées ».

Effectivement, ces études ont permis le développement d’outils nous permettant de sortir ou de nous tenir loin de ces cas extrêmes, par exemple l’assurance sur les dépôts nous fait éviter les bank-run et si jamais cela s’avérait nécessaire la fonction de prêteur en dernier ressort de la banque centrale nous permettrait de contrer l’éventuelle crise de liquidité. Plusieurs autres cas peuvent être cité : les sudden stop qui caractérisent l’assèchement soudain des flux de capitaux vers un pays, le cas du zero lower bond qui se définit comme l’incapacité pour la politique monétaire de faire passer le taux d’intérêt nominal au-dessous de zéro, alors que la cible d’inflation n’est pas atteinte ou pire qu’on lutte contre la déflation, comme au Japon.

En résumé, il existe des cas où l’économie fonctionne mal où de petits chocs ont des effets persistants à long terme, mais ces cas n’étaient pas perçus comme un danger pour nos économies. On se croyait à l’abri. Si la crise nous a appris une chose, c’est que finalement il est intéressant de s’occuper et de documenter ces cas de mauvais fonctionnement de l’économie, car nous en sommes plus proches qu’on le pense.

LE CALME AVANT LA TEMPÊTE

La grande modération nous a fait sous-pondérer le risque et nous nous sommes de plus en plus rapprochés de ces coins sombres de l’économie. En fragilisant notre système financier, on l’a rendu beaucoup plus sensible au choc potentiel. C’est cela qui nous a conduits à l’une des pires crises économiques.

Pour rappel, l’explosion d’une bulle immobilière aux États-Unis combinée à une structure complexe et opaque des créances financières a conduit à une crise de confiance et de solvabilité sur le marché interbancaire. C’est ici que la régulation a failli une première fois. De nombreuses institutions financières non bancaires n’étaient pas soumises à la même réglementation que les banques et pourtant elles détenaient les mêmes types d’actifs et elles portaient tout autant de risque que ces dernières. La politique monétaire a permis de fournir des liquidités aux établissements bancaires, mais le mal était fait et l’on a assisté à l’assèchement du crédit entrainant une baisse de l’activité.

Plusieurs banques ont dû être sauvées par l’argent public, mais l’augmentation des déficits publics et des dettes publiques, en situation d’instabilité et de méfiance, a fait s’accroitre le risque souverain, faisant ainsi perdre de la valeur aux obligations d’états détenues par les banques qui à nouveau ont dû réduire leur offre de crédit et ont dû faire à nouveau appelle à l’argent public. Cela a fragilisé un peu plus les États qui ont vu leur taux d’intérêt augmenter sur les marchés obligataires. Ce phénomène a conduit les banques centrales à réduire leur taux d’intérêt à zéro et à mener des politiques non conventionnelles (type QE), pour relancer l’activité et le crédit, mais aussi protéger certains états qui voyaient leurs taux d’emprunt exploser.

UNE PÉNIBLE SORTIE DE CRISE

Cinq ans plus tard, la politique monétaire en zone euro n’est pas parvenue à faire remonter l’inflation ou même les anticipations d’inflation. Le risque de déflation y est très présent et pour certains pays européen, c’est une réalité. Ce qui augmente la valeur réelle de la dette publique et privée qui à son tour accroit la charge de la dette et cela aboutit à une diminution de l’activité économique. C’est ce que l’on appelle plus couramment la boucle déflationniste.

Nous sommes donc pris dans les coins sombres de l’économie, les banques centrales tentent bien que mal de gérer le problème de déflation et le risque souverain a été oublier pendant un temps, mais il semble qu’il ne faille pas grand-chose pour le voir réapparaitre, dans une situation de faible croissance nous semblons à court d’idées, pris entre le devoir de nous désendetter et l’envie de relancer nos économies. Mais, si la structure de nos économies n’est pas saine, il ne nous faudra pas longtemps pour retomber à nouveau dans les abysses de l’économie