Les bulles sont devenues un thème récurrent et inévitable en économie. Chaque semaine, on peut lire des articles sur les nouvelles bulles décelées et comment s’en prémunir. Il n’existe pas vraiment de consensus sur la définition d’une bulle, mais pour l’ancien président de la FED Alan Greenspan, une bulle est définie par le fait que l’on ne puisse pas déterminer quand elle dégonflera (ou explosera). Avec cette définition, il nous est impossible de “détecter” les bulles, car un phénomène sur le marché ne pourra être appelé “bulle” qu’ex-post, à partir du moment ou le krach a effectivement eu lieu.
Le Prix Nobel d’économie 2013, Robert Shiller caractérise les bulles de par une juxtaposition de symptôme. Ainsi, si (1) les prix augmentent rapidement, si (2) les agents cherchent à justifier cette augmentation et enfin, si (3) les agents se sentent envieux et regrettent de ne pas avoir pu participer, alors on peut se dire qu’il y a une bulle sur le marché.
De plus, il considère que les médias jouent un rôle important dans l’émergence d’une bulle, car selon lui avant les médias les bulles n’existaient pas1. Avec cette définition, il est possible de caractériser une bulle, mais pas uniquement… les fortes croissances boursières de Google ou Apple sont souvent considérées comme des bulles2, mais pour le moment il n’y a eu aucun krach. Effectivement, à partir du moment où l’on choisit d’utiliser le terme de bulle, on considère que cela va se terminer de manière brutale.
On note tout de même que Bob Shiller met en avant le caractère social d’une bulle que l’on retrouve dans la définition que je préfère utiliser : ce phénomène voit le jour, lorsque les investisseurs détiennent un actif parce qu’ils croient qu’ils pourront le revendre à un prix plus élevé, même si son prix dépasse de loin sa valeur fondamentale, au point qu’aucun scénario plausible sur ses revenus futurs ne puisse le justifier.
“Je partage le Prix Nobel avec lui. Pourtant, son travail essaie de démontrer que tout ce que je dis est faux!”
Robert Shiller
Pour Eugene Fama, un autre Prix Nobel d’économie (2013), les bulles n’existent pas, car si on est capable de déterminer qu’une bulle se forme sur un marché et que donc à travers cela on prédit un krach dans un avenir plus ou moins proche, alors cette information doit se retrouver dans les prix et ceux-ci doivent diminuer instantanément, ce qui de toute évidence rends impossible l’émergence de bulle3.
Si le rejet de l’existence des bulles est assez peu cohérent avec les faits, il semble assez légitime de penser que si une bulle est détectée et qu’elle est signalée de manière convaincante, alors elle doit normalement se dégonfler et disparaitre instantanément.
C’est un peu l’idée développée par deux économistes de l’université de Waseda à Tokyo, Yasushi Asako et Kozo Ueda dans “The Boy Who Cried Bubble: Public Warnings against Riding Bubbles” publié par la FED de Dallas. Dans ce document de travail, les deux économistes développent un modèle dans lequel une bulle peut être dégonflée, si les agents sont avertis de sa formation, éliminant ainsi la possibilité pour d’autres investisseurs qui l’auraient découverte plus tôt de profiter de cette position pour engranger des profits.
Mais le problème reste a priori le même, le biais informationnel et la difficulté de détection des bulles rendent les alertes peu crédibles. On peut prendre l’exemple d’Alan Greenspan, qui en 1996 n’avait pas réussi à convaincre le marché qu’il y avait des « exubérances irrationnelles » sur le marché action américain.
Cependant, de nouvelles méthodes de détection ont été développées et notamment celle de Phillips et al4 (2012) qui a été appliquée au marché immobilier colombien et qui conclut que la Colombie peut être confrontée à une bulle immobilière.
Une autre application sur les marchés immobiliers américains, anglais et espagnols, arrive à la conclusion qu’il existe des preuves solides mettant en avant des comportements explosifs durant la première moitié des années 2000.
NOTE : (1) “The news media are involved. There were no bubbles before there were news media.” Source: npr.org (2) Exemple (3) Attention toutefois, le cadre d’analyse dans lequel se place Fama est celui de marché efficace. (4) Phillips, P.C.B., S. Shi, and Yu, J., 2012, “Testing for multiple bubbles”. Cowles Foundation Discussion Paper No 1843.
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